Le service obligatoire: des rencontres improbables
D'après les statistiques que j'observe pour les différents articles que j'ai publiés sur mon blog, je constate que l'article qui a suscité le plus grand intérêt de mes chères lectrices et chers lecteurs, c'est celui sur les obligations militaires. Ca tombe bien, car pour moi, le service militaire suisse a été une expérience formidable. Pas parce que je serais inconsciemment un fan du deuxième amendement de la Constitution des États-Unis, je vous rassure, mais parce que j'ai pu faire des rencontres et me lier d'amitié avec des personnes que je n'aurais jamais rencontrées sinon.
En Suisse, comme vous le savez certainement, le service militaire est obligatoire. (Je ne vais pas parler du service civil ou de la protection civile ici, car ce n'est pas le but de cet article.) Et comme il est obligatoire, il fait que tous les citoyens sont obligés de servir. Contrairement au service volontaire, comme en France depuis quelques années, par exemple, les personnes qui sont convoquées pour servir n'ont pas forcément envie de servir, pour ne pas dire "s'en passeraient bien volontiers", et par conséquent, pour l'écrasante majorité, n'ont pas pour ambition de faire carrière dans l'armée.
Dans l'année de mes 18 ans mais avant cet âge, j'ai été convoqué pour la journée de recrutement, à l'époque à la caserne des Vernets, à Genève. Il y avait là des exercices de condition physique et des tests de français et de mathématiques, si je me souviens bien, et le tout donnait différentes notes et une moyenne. Plus la moyenne était élevée, plus les choix étaient vastes en ce qui concerne la fonction.
Avant de me rendre à cette journée de recrutement, j'avais trois fonctions en tête: cycliste, motocycliste et chauffeur poids-lourd. Cycliste, parce que je voulais faire une activité qui me donne une bonne condition physique, car en effet, quitte à passer trois mois et demi (école de recrues) pendant l'été à l'armée, autant faire du sport au quotidien. Motocycliste, car j'allais avoir le permis 125cm3 peu après mes 18 ans et qu'à l'époque, il fallait avoir deux ans de permis 125cm3 avant de pouvoir passer à des cylindrées supérieures. Mais en étant motocycliste à l'armée, on obtenait le permis "gros cube" immédiatement, reconnu dans le civil. Et chauffeur poids-lourd, et bien, parce que quelle autre occasion aurais-je dans ma vie de conduire des camions? En effet, "collège puis université" n'ont pas tendance à rimer avec "chauffeur poids-lourd".
Il se trouve que la fonction de cycliste était appelée à disparaître l'année suivante. Quant à la moto, en fait, ça m'a paru ennuyant. C'est donc vers la fonction de chauffeur poids-lourd que je me suis orienté, et je pense que je n'aurais pas pu choisir meilleure fonction à l'armée: liberté, indépendance (toute relative), les cheveux dans le vent (derrière le pare-brise) au volant de camions-remorques, à sillonner les routes suisses, de Romont à la frontière avec le Liechtenstein, en passant par Lucerne, le Valais, Fribourg, Vaud, Neuchâtel, entre autres, en plaine, en montagne à occuper toute la route pour prendre les virages à droite... avec une raclette en chemin avec un ami chauffeur, quelque part dans les Préalpes vaudoises, quel bonheur! Tandis que d'autres se roulent dans la boue ou sont dehors par tous les temps, être dans la cabine de son camion et avaler les kilomètres, il y a pire. Même si je me souviendrai toujours de m'entraîner à mettre des chaînes de 80 kg et à changer des roues en plein soleil pendant la canicule de 2003.
Ce n'est pas tant l'école de recrues qui m'a plu, mais les cours de répétition, où j'ai fait la connaissance de nombreuses personnes que je n'aurais jamais rencontrées sinon, car en tant que Genevois (c'est-à-dire en tant que Français aux yeux des [autres] Suisses romands) et étudiant universitaire, on n'est pas voué à croiser, sur sa route, des techniciens qualité neuchâtelois qui ont pour hobbies les rallies automobiles et l'impression 3D, des techniciens gruyériens en génie climatique, des mécaniciens poids-lourd, des officiers de carrière, ou encore des gens qui construisent leur maison de leurs propres mains dans le Val-de-Travers et qui sont passionnés de voitures: Damien R., Raphaël M., directeur de l'entreprise COTEM SA, Mathias K., technicien qualité, Daniel M., mécanicien poids-lourds chez Volvo, Cédric D., directeur d'Infosynergie, Gilles B., un officier pas comme les autres, et quantité d'autres. Nous avons partagé tant de choses, car nous étions, pour ainsi dire, 24/24 heures ensemble. Et Gilles, si tu me lis, je suis sûr que tu te souviendras toujours d'un certain anniversaire que tu as passé là. Et aujourd'hui encore, chaque année, certains d'entre nous nous rencontrons pour un gros dîner. Je vous vois venir: non, je ne parle pas du film avec Thierry Lhermitte et Jacques Villeret.
Pour la découverte de la conduite poids-lourd et, surtout, pour ces rencontres et ces amitiés improbables, je suis heureux d'avoir pu vivre une telle expérience.
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